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29 juin 2020 1 29 /06 /juin /2020 09:25

 

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6 avril 2019 6 06 /04 /avril /2019 13:00
En attendant la sortie du roman (prévue le 20/04/2019) vous pouvez écouter la playlist qui comprend les morceaux cités dans le roman et des titres emblématiques des groupes qui y sont évoqués (décennie dorée, 1965-1975)

En attendant la sortie du roman (prévue le 20/04/2019) vous pouvez écouter la playlist qui comprend les morceaux cités dans le roman et des titres emblématiques des groupes qui y sont évoqués (décennie dorée, 1965-1975)

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28 juillet 2018 6 28 /07 /juillet /2018 12:58

Il existe probablement des façons plus drôles de passer son temps que de regarder Public Sénat ou La Chaîne Parlementaire. Cependant, en plein « Benallagate », il est intéressant d’observer de près la façon dont fonctionne notre démocratie. Le Français est râleur, toujours prompt à se plaindre qu’il y a trop de ci et pas assez de ça, alors pour une fois qu’on nous propose d’assister dans une totale transparence à un exercice particulièrement révélateur de la bonne santé de notre République Française (commission d’enquête parlementaire sur des supposées vilenies commises par l’Elysée), pourquoi bouder cette chance ? On peut choisir d’aller à la plage, mais après il ne faudra pas se plaindre et gueuler que ce n’est pas la peine de voter et que de toutes façons ils sont tous pourris. Ce serait de l’antiparlementarisme primaire. Si on veut critiquer les parlementaires, au moins commençons par les admirer en action.

J’avoue que je m’attendais à un truc du genre « vu dans les séries américaines ». Il y a régulièrement des histoires qui mettent en scène, à un moment donné, une commission d’enquête du Sénat avec des types super-méchants qui torturent (psychologiquement) les malheureux qui se retrouvent face à eux. On sent que ça ne rigole pas, ceux qui sont sur la sellette se font démonter, comme les prévenus face aux avocats les plus tordus (toujours « vu dans les séries américaines »). Un sénateur américain qui siège dans une commission d’enquête, on a le sentiment (en regardant des fictions) que c’est un procureur particulièrement féroce, super préparé, qui rêve depuis au moins dix ans de se faire la personne livrée à sa vindicte. Mais les sénateurs français ne sont pas les sénateurs américains, du moins ceux « vus dans les séries ».

Le truc le plus frappant, c’est à quel point les sénateurs français s’écoutent parler. En plus ils savent qu’il y a la télé, que c’est comme Secret Story saison un quand tout le monde matait la télé-réalité histoire de savoir comment c’était. Du coup ils cabotinent. Et que je te fais des phrases à rallonge, et que je te déverse des pelletées d’imparfait du subjonctif pour montrer à quel point je maîtrise la langue française, et que je t’entraîne dans des digressions interminables pour profiter du temps de parole. Oublié le méchant sénateur ricain avec ses questions construites comme des pièges à mâchoire. Le sénateur français ne pose pas des pièges à ours, il déverse de la mélasse. Des litres de mélasse, de mélasse de questions dans laquelle tout le monde s’englue, à commencer par lui-même. Il y a tout de même Philippe Bas, qui mène les débats et semble un peu plus structuré que le troupeau dont il est l’onctueux berger, et tente de ramener ses ouailles sur le bon chemin. Ce qui donne lieu à des dialogues surréalistes :

- Vous savez comme j’aime vous entendre parler, mon cher collègue, mais je suis comptable du temps qui nous est imparti, et je vous saurai gré d’abréger vos propos.

- Ah, Monsieur le Président, je tiens à achever mes phrases et ne suis satisfait que lorsque se pose le point final !

- Et bien, mon cher collègue, pourriez-vous alors rapprocher ce point du milieu de la phrase ?

Il est sympa, Philippe Bas, et il croit bien faire, mais ce genre d’intervention, ça n’aide pas. L’autre est encore plus égaré, encore plus désorienté, on aurait dû le laisser se démerder avec son point final. Maintenant il se noie carrément dans toute la mélasse qu’il a déversée, Philippe Bas soupire, comprend qu’il aurait mieux fait de prendre son mal en patience, parce que là, plus personne ne sait quelles sont les questions, s’il y a des questions, si des réponses sont demandées. Le seul qui jubile (intérieurement), c’est le gars sur la sellette. Lui aussi il doit regarder les séries américaines, et il flippait depuis des jours, mais désormais on voit bien qu’il est rassuré, qu’il réalise qu’il n’y aura pas de piège à mâchoires pour lui chopper la jambe, et il se pourlèche de toute cette mélasse dont il a été arrosé.

- Si je comprends bien, il y a quatre sous-questions dans votre question.

Soulagement de Philippe Bas, ravi de constater que quelqu’un a pigé quelque chose, en plus le premier intéressé, c’est royal ! Ravissement du grand maître de l’imparfait du subjonctif, qui songe « quatre sous-questions en une seule tirade, je suis vraiment bon ! » Joie de l’homme interrogé, Directeur général de la Police, Directeur de cabinet de l’Elysée, Préfet de Police de Paris, peu importe, toutes les séances qui se suivent sont bâties sur le même modèle. Les hauts fonctionnaires de l’Etat arrivent, entraînés comme James Buster Douglas le jour où il est monté sur le ring face à Mike Tyson ; persuadés qu’ils jouent leur peau. Précision pour ceux qui ne sont pas des amateurs de boxe, Buster Douglas était donné archi-perdant face au plus terrifiant épouvantail qui ait jamais existé en catégorie poids lourd. Du coup il s’est entraîné comme il ne l’avait jamais fait (et ne le fera plus jamais). Sûr de sa victoire, l’autre n’a rien foutu. Et il s’est fait défoncer pendant tout le combat jusqu’à se retrouver KO. Les hauts fonctionnaires convoqués par la commission d’enquête sont tous des James Buster Douglas, en plus talentueux. Les sénateurs ne sont pas des Mike Tyson, juste des tocards qui se prennent pour Mike Tyson.

Les hauts fonctionnaires répondent aux questions qu’ils ont choisis de discerner dans la bouillie verbale qui a précédé. Qui oserait les reprendre ? Qui pourrait prétendre avoir compris quoi que ce soit à ces péroraisons pédantes ? Evidemment les réponses ont été travaillées, tout tombe au cordeau, tout s’emboîte merveilleusement. Vous croyez que j’exagère ? Juste une petite scène afin de prouver que non : Un des hommes questionnés évoque la sanction qui a frappé Benalla (la sévère mise à pied de quinze jours, une peine qui fait trembler les plus endurcis), et déclare que c’est une deuxième faute, postérieure aux événements du 1er Mai, qui a entraîné son licenciement. N’importe quel vulgum pecus (comme votre serviteur) qui a subi la médiatisation de l’affaire sait de quoi il s’agit ; le recel des enregistrements vidéo fournis par les « copains malsains » de la Police. N’importe quel vulgum pecus, oui, mais les sénateurs de la commission d’enquête, non. La phrase entraîne un remue-ménage impressionnant. Ceux qui commençaient à s’assoupir se réveillent (les sénateurs qui roupillent en séance, ce n’est pas une caricature), les autres poussent, littéralement, des cris d’orfraie.

- C’est important ! C’est crucial ! C’est explosif !

- Une révélation ! Vous nous faites une révélation !

Le tumulte s’empare de la noble assemblée. On sent qu’ils pensent tous avoir mis la main sur quelque chose d’énorme, et que plus tard ils pourront dire : « J’y étais ! Le jour où nous avons fait tomber la présidence, j’y étais ! » Mais le haut fonctionnaire se répète, calmement, en articulant bien comme s’il s’adressait à des mal-comprenant. Peu à peu les sénateurs réalisent, désappointés, qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Une partie d’entre eux retournent à leur sieste.

On pourrait espérer que les députés sont des parlementaires plus efficaces que les sénateurs. Après tout, ils sont jeunes, ce ne sont pas tous des notables assoupis par des décennies à ronronner sous les ors de la République. Certes, ils sont agressifs, ils ne possèdent pas la rondeur des sénateurs. Mais leur médiocrité est aussi accablante. Ils digressent non pour s’écouter parler, mais pour régler leurs comptes, pour s’invectiver d’un camp à l’autre, pour se balancer des propos fielleux. Lorsqu’on en vient aux questions, elles sont plus concises et compréhensibles, mais toujours aussi peu pertinentes. Chaque député semble n’avoir à sa disposition qu’un lot restreint de questions, un lot très restreint. Il pose sempiternellement les mêmes, pas gêné par le fait que la réponse ait été donnée dix fois. Sait-on jamais, l’individu interrogé pourrait se contredire. Et à tous ceux qui défilent, il pose ses questions, voire SA question, dont on imagine qu’il l’a peaufinée pendant des jours, pareil à un prof à l’oral du BAC qui ne proposerait qu’un sujet. Pas besoin d’antisèches, il suffit de demander au pote qui vient de passer : « Sur quoi t’es tombé ?» Le pire, c’est lorsque ces questions s’intéressent à l’état d’esprit de la personne interrogée, comme ces JT où le présentateur ne sait que demander : « Quelle est l’ambiance ? »

Parfois il n’y a rien, juste un commentaire, une réflexion ; une pensée… Eux-aussi, comme leurs potes du Sénat, doivent se souvenir de Secret Story et se dire que la France les regarde. Ils sont au théâtre, ils ont oublié quel était le but de la commission d’enquête. Parfois un de ceux qu’ils « interrogent » le leur rappelle. Un colonel de Gendarmerie responsable de la sécurité de l’Elysée :

- Je veux bien répondre à une question, mais je n’ai pas à me prononcer sur vos commentaires.

La plupart du temps, leurs digressions sont ignorées, pour ne pas dire méprisées. Comme le léchage de cul du Fayot Eric Ciotti, qui ne peut pas voir un gradé de la Police ou de la Gendarmerie sans passer dix bonnes minutes à glorifier les forces de sécurité, à dire combien il les aime, les respecte, souffre de devoir les importuner, mais c’est ainsi, et nous savons tous ce qui nous vaut cette épreuve, n’est-ce pas ? En face, ils font ceux qui n’ont rien entendu, ils sont toujours aussi froids, aussi précis, aussi chirurgicaux. Pauvre Ciotti. On dirait un de ces clébards trop affectueux qui emmerde tout le monde en venant baver sur les pantalons et les jupes des invités, et qu’on se retient de chasser à coups de pompe dans le cul pour ne pas peiner la maîtresse de maison.

Finalement, on en revient à la case antiparlementarisme, après avoir bien perdu son temps. Ceux qui râlent qu’ils n’iront pas voter pour un guignol se trompent-ils ? J’aurais tellement voulu voir ne serait-ce qu’un parlementaire comme ceux des séries américaines, un qui sait pourquoi il est là, qui fait le boulot, qui le fait bien et ne pense pas à jouer au malin devant les caméras. Mais peut-être ce genre de personnage n’existe-t-il que dans les fictions, comme les super-héros. La vraie vie est plus terne, ses protagonistes plus médiocres. Sans doute nos parlementaires sont-ils le reflet de notre société, alors ne les accablons pas. Et puis ils ont le mérite d’exister. Le jour où ils ne seront plus là, c’est que la démocratie aura disparu. Rien que pour cette raison, faisons l’effort de les apprécier.

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24 juillet 2018 2 24 /07 /juillet /2018 19:12

Lorsque la Coupe du Monde de Football s’est achevée, il était difficile d’imaginer que nous entendrions, très rapidement, prononcer un nom par les media plus souvent que ceux des joueurs de l’équipe de France victorieuse. Pourtant cela n’a pas traîné. Alexandre Benalla est évoqué sur les ondes et dans les journaux dix fois plus que Paul Pogba ou Antoine Griezman, sa tête est plus connue que celle de Benjamin Pavard. Bientôt, il aura sa chanson, comme N’Golo Kanté. Donc personne n’ignore de quoi il s’est rendu coupable, les images de ses violences passant en boucle sur les chaînes d’information à longueur de journée.

Si l’affaire n’était pas aussi déplorable, on pourrait presque s’amuser de la tartufferie de ses contempteurs. La droite et le PS pourfendent la milice présidentielle, les barbouzes lâchés dans les rues de Paris, la police parallèle. Rappelons que les deux hommes politiques quasiment déifiés par la droite et le PS sont Charles De Gaulle et François Mitterrand. Au premier, on doit le Service d’Action Civique, en gros des hordes de « super-Benalla » qui faisaient bien plus que distribuer des coups de poing, et dont les méfaits n’ont pris fin qu’après l’effroyable tuerie d’Auriol. Au second on doit la cellule élyséenne du « super-gendarme » Christian Prouteau, coupable de falsifications de preuves pour coller sur le dos des Irlandais de Vincennes une accusation de terrorisme, et de mise en place d’écoutes téléphoniques illégales sur 150 personnes afin de satisfaire les désirs du monarque élyséen. Emmanuel Macron cherche peut-être à s’inspirer de ces deux grandes figures tutélaires, mais on peut dire qu’il lui reste du chemin à faire ; ou que la démocratie a progressé, si l’on préfère.

La palme de la tartufferie revient tout de même à la chaîne américaine CNN, qui diffuse les images de Benalla en action, en prenant soin d’avertir les téléspectateurs les plus sensibles que la violence pourrait les choquer. C’est vrai que dans un pays tel que les Etats-Unis d’Amérique, les gens sont peu accoutumés à des scènes pareilles. Les forces de l’ordre sont réputées pour leur flegme et leur patience, et il est bien connu qu’on peut les bombarder de bouteilles ramassées sur les terrasses des cafés sans risquer autre chose qu’un regard noir ou un sermon moralisateur. Il suffit d’ailleurs de comparer la vidéo du déchainement de violence de Benalla à celle de l’arrestation de Rodney King, qui montre un groupe de policiers tout en retenue, contrôle et modération, pour comprendre que les mises en garde de CNN s’imposent. Hommage soit rendu aux Parisiens, qui restent calmes malgré cette vidéo qui passe en boucle, alors que les habitants de Los Angeles s’étaient montrés plus nerveux ; mais peut-être CNN avait-elle à l’époque omis de mettre en garde les téléspectateurs.

Donc les gros bras échappant au contrôle républicain des forces de l’ordre officielles, les barbouzes qui font du renseignement en parallèle et rendent compte à Dieu (à savoir le président de la République dans le système démocratique français) sait qui, tout cela n’est guère nouveau. La nouveauté, le « modernisme macronnien », se situe ailleurs. Alexandre Benalla est l’incarnation d’un concept macronnien (d’une macronnerie, donc) fondamental. J’en avais eu la révélation lorsque j’avais vu notre président, alors jeune ministre sous le règne de François Hollande, invité par Bourdin. Citant en exemple la restauration, Emmanuel Macron avait déclaré : « Ce qui est formidable, Monsieur Bourdin, c’est que demain vous et moi nous pouvons ouvrir un restaurant. Entreprendre. Pourquoi ce qui est limité au domaine de la restauration ne pourrait pas s’étendre à d’autres domaines ? »

On touchait là au cœur de la macronnerie. Les énergies sont bridées par des carcans qui les empêchent de se déployer. Brisons ces carcans et vous allez voir ce que vous allez voir. Ubérisons ! L’envie, l’ambition, la volonté sont les moteurs de la société. Si rien de fâcheux, de vieillot, d’obsolète ne les arrête, alors l’avenir sera radieux.

Comme je le disais plus haut, Benalla est aussi célèbre maintenant que Saint-Didier (Deschamps), et l’on sait que l’envie, l’ambition et la volonté font partie de ses qualités. On le dépeint débrouillard, malin, ne rechignant pas à la tâche. Des éléments nécessaires pour réussir. Le problème, c’est que dans le concept macronnien, ils sont non seulement nécessaires mais aussi suffisants. La République française s’est beaucoup construite sur l’idée qu’il fallait pour s’élever franchir certains obstacles, passer certains rites initiatiques qui se nomment concours, épreuves, carrière. On appelle ça la « méritocratie ». Nous nous sommes accoutumés à l’idée que celui ou celle qui est bon dans son métier est nécessairement poussé par l’envie, l’ambition et la volonté, mais qu’il a dû en passer par la sélection, la formation et l’exercice des responsabilités.

Alexandre Benalla n’a pas été sélectionné, si ce n’est par le copinage. Il n’a jamais été formé, ou sur le tas, ou très mal lorsqu’on voit le résultat, et certainement pas aux fonctions importantes auxquelles on semblait le destiner. Quant aux responsabilités, il ignore manifestement de quoi il s’agit. C’est une macronnerie, un gâchis. Faire une carrière dans la Police ou la Gendarmerie demande du temps, des efforts que sanctionnent des concours, une expérience qui s’acquiert sur le terrain et par la transmission ; cela implique des responsabilités, des contraintes légales dont la transgression peut s’accompagner de conséquences lourdes. Au bout d’une vingtaine ou une trentaine d’années, ce parcours peut forger des gens capables, à qui il est légitime et judicieux de confier un rôle important.

On apprend qu’Alexandre Benalla devait organiser la fusion des services chargés de la protection du Président de la République, concevoir le futur système destiné à préserver le premier personnage de l’Etat. A 26 ans. Avec pour tout bagage son expérience de gorille dans les meetings du PS, et pour toute préparation à cette tâche complexe des bagarres dans les manifestations. La cellule élyséenne de Prouteau s’est rendue coupable de « barbouzeries », mais au moins ses membres venaient du GIGN. Quant aux affreux du SAC, De Gaulle n’aurait certainement pas eu l’idée de leur confier autre chose que des basses besognes.

Mais Emmanuel Macron rêve d’une France moderne, aux énergies libérées des vieilles chaînes rouillées et poussiéreuses. Il fait d’un jeune homme sans qualifications un lieutenant-colonel de réserve de la Gendarmerie, l’absout de toute hiérarchie, lui donne tous les pouvoirs lorsqu’il s’agit de sa protection. L’empereur romain Caligula avait bien conféré à son cheval le titre de sénateur. Mais Caligula avait agi ainsi surtout pour humilier le Sénat. Ce qui est dramatique dans le cas d’Emmanuel Macron, c’est qu’il croyait vraiment que le cheval serait capable de légiférer ; et sûrement mieux que les vieilles badernes qui faisaient le job avant lui. Heureusement pour nous, les chevaux sont des animaux nerveux, une mouche peut révéler soudain leur caractère ombrageux et instable. Sans cela, nous aurions pu nous retrouver pendant des années à écouter les hennissements des sénateurs de la nouvelle République française.             

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29 mars 2018 4 29 /03 /mars /2018 19:13

Une des conséquences des obsèques nationales, cérémonieuses et médiatisées du colonel Arnaud Beltrame aura été la prise de conscience que, de mon point de vue tout au moins, nous sommes bien en guerre. Longtemps le terme m’a agacé. Essayez de l’utiliser auprès de survivants de la deuxième guerre mondiale (mes parents par exemple) ou de rescapés de l’actuelle boucherie syrienne, vous aurez l’air d’un quidam enrhumé qui déclare à un ami atteint du cancer du pancréas « Moi aussi je suis malade ! »

La façon dont nombre de politiques tentaient d’utiliser le terme ne faisait que renforcer mes réticences ; surtout lorsqu’il s’agissait de l’absurde « guerre au terrorisme » née au début du siècle après l’attentat du World Trade Center. Le terrorisme est un moyen, une méthode éventuellement utilisée par un ennemi, pas l’ennemi lui-même. Parler de « faire la guerre au terrorisme » est aussi ridicule que de « faire la guerre au semtex », « faire la guerre à l’artillerie de 155 mm » ou « faire la guerre aux drones armés ». L’intérêt de cette formule très prisée est d’éviter de désigner l’ennemi. Dans certains cas peut-être s’agit-il de ne pas froisser certaines susceptibilités. J’ai le sentiment que longtemps on n’a pas osé dire islamisme politique radical, une mouvance dont font partie Al-Qaida, l’Etat islamique et leurs « franchises ». Cette réticence est depuis longtemps dépassée, il suffit de comparer les discours respectifs de François Hollande après les attentats de novembre 2015 (dans lequel les mots islam, islamisme et musulmans n’existent pas) et d’Emmanuel Macron en hommage à Arnaud Beltrame.

Mais la « guerre au terrorisme » peut servir à masquer autre chose. Cette formule, dans la bouche des dictateurs, est bien pratique. Un Erdogan qui fait la guerre au terrorisme est plus présentable qu’un Erdogan qui veut se débarrasser du problème kurde. Si Poutine parle de lancer la guerre contre le terrorisme dans le Donbass, il faut traduire ses propos par : « J’ai avalé la Crimée, mais un morceau d’Ukraine pour le dessert, ça serait pas mal. » Souhaitons pour les Ouïghours que Pékin ne parte pas en guerre contre le terrorisme dans le Turkestan, parce que cela pourrait signifier pour eux une campagne d’épuration ethnique.  

Donc le terme guerre a tendance à être galvaudé. Mais en prenant du recul, je dirais que chaque époque et chaque peuple ont leurs guerres. En ce qui concerne la France, les guerres de conquête coloniale n’ont rien à voir avec le conflit franco-prussien. La seconde guerre mondiale était différente de la der des ders, et les guerres de décolonisation furent encore autre chose. Maintenant, nous en sommes à un autre type de guerre. On entend parler de conflit asymétrique, de choc des civilisations, mais il est bien difficile de mettre un nom sur cet affrontement d’un nouveau genre. Les camps sont bien identifiés, quoiqu’on puisse entendre parfois. Nous sommes d’un côté (La France, et ses alliés, européens et américains), les groupes islamistes radicaux violents de l’autre. Ce point-là est clair, c’est tout le reste qui est flou.

Les armées qui s’affrontent sont floues : les combattants n’ont pas de nation (ils peuvent être Français et combattre la France), pas d’âge (des enfants peuvent être victimes des attentats et des bombes, ou servir à commettre des attentats), pas de sexe (femmes et hommes, en armes ou victimes des armes). La ligne de front est floue : elle est dans un village français, en Irak, au Mali, à Paris, en Syrie. Les moyens d’action sont incroyablement disparates : avions de chasse et bombes guidées, couteau, camion bélier, hélicoptère de combat, kalachnikov, bombonnes de gaz et sacs de clous. Mais plus les événements se succèdent, plus on contemple leur déroulement, plus il devient évident qu’il s’agit bien d’une guerre. Comme toute guerre, elle a ses héros et ses martyrs, et la terrible litanie de leurs morts spectaculaires est en train de la structurer, de lui donner un cadre, de la définir en tant que guerre.

Jusqu’ici chaque camp présentait ses martyrs. L’Etat islamique et Al-Qaida définissent ainsi tout combattant mort pour leur cause. Leurs martyrs sont en général des individus qui finissent en kamikazes après avoir tué le plus possible. La notion de martyr est un des axes de la propagande islamiste radicale. Face à cela, nos martyrs étaient des victimes, des civils tombés sous les balles, écrasés par des véhicules, égorgés comme le père Hamel.

J’ai toujours été frappé par l’angle adopté par nos média, la présentation des faits, le discours subliminal. Nos martyrs sont toujours des gens pacifiques, presque étrangers à cette guerre dont on nous rebat pourtant les oreilles, des innocents au sens précis du terme. Cela est exact pour nombre des victimes des attentats islamistes, mais depuis le début de la guerre, puisqu’il s’agit d’une guerre, il ne manque pas de soldats morts au combat ou morts parce que spécifiquement visés ; des combattants. Ceux-là n’ont jamais été présentés comme l’ennemi présente ses morts. Notre conception du martyr est différente ; notre conception du martyr est héritée de la Rome antique et des chrétiens livrés aux lions. Nos soldats, contrairement à ceux de l’Etat islamique, font juste leur job ; ils mettent leur vie en jeu, et lorsqu’ils la perdent, il s’agit des risques du métier. En termes de communication, nous étions battus à plates coutures. Face à un panthéon de guerriers-martyrs glorifiés par leur camp, nous n’avions que des victimes-martyrs à opposer (nos soldats étant mis entre parenthèses, puisqu’ils font leur métier de soldats, lâchent des bombes depuis leurs Mirages et leurs Rafales, patrouillent devant les lieux publics et « neutralisent » le cas échéant des individus menaçants). Nous étions un camp de moutons face à un camp de loups. Et puis nous avons découvert que nous pouvions avoir des héros.

Dans notre inconscient collectif, ce qui rapproche le héros du martyr, c’est leur destin tragique ; ce qui les différencie, c’est que celui-ci est une victime passive (quasiment consentante du fait de l’héritage de la martyrologie chrétienne) et que celui-là est agissant. On peut penser ce qu’on veut d’Emmanuel Macron (et je n’en pense pas toujours du bien), mais il faut lui reconnaître une capacité à analyser une situation, la comprendre et savoir utiliser les mots justes pour la définir. Lorsqu’il dit en parlant du colonel Beltrame « un homme s’est levé », il embrasse tout d’une courte phrase. La nouveauté, c’est l’action, l’action éminemment courageuse de l’homme qui a succombé à un destin tragique. Arnaud Beltrame ne se rajoute pas à la longue liste des martyrs ; il est le premier héros de cette guerre.

D’autres soldats que lui sont tombés, au Levant, au Mali, sur le sol français. D’autres soldats que lui ont fait preuve de courage. Mais cet homme est allé tellement au-delà des sacrifices qui sont demandés aux militaires, en échangeant sa vie contre celle d’un otage, qu’il faut bien lui trouver un qualificatif exceptionnel. S’il n’avait pas agi comme il l’a fait, personne n’aurait fustigé son comportement ; personne n’aurait rien remarqué. Les soldats qui vont risquer leur existence au combat parce que telle est leur mission sont courageux. Un homme comme le colonel Beltrame, qui s’invente lui-même une mission parce qu’il décèle une possibilité de sauver une vie en mettant la sienne en péril, est héroïque.

Maintenant cette guerre a créé des martyrs et au moins un héros. Entre les martyrs proclamés par l’Etat islamique et Arnaud Beltrame, le seul point commun est de n’avoir pas eu peur d’affronter la mort. Les uns ont fait peu de cas de leur propre vie parce qu’ils n’accordaient aucune valeur à la vie. L’autre a risqué sa propre vie parce que la vie était pour lui d’une valeur inestimable, et qu’il était prêt à tout pour sauver quelqu’un. Même si j’aime la formule d’Emmanuel Macron parlant du colonel Beltrame, je pense qu’il est un peu inexact de dire qu’un homme s’est levé. Cet homme-là, Arnaud Beltrame, a toujours été debout. Nos regards se sont simplement tournés vers lui. C’est ainsi que naissent les héros, lorsqu’une société commence à voir ceux qui se tiennent debout.      

 

 

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1 juillet 2017 6 01 /07 /juillet /2017 19:48

Il existe dans l’histoire de la Musique une période singulière, une décennie dorée, entre 1965 et 1975, pendant laquelle différents courants ont convergé, se sont mêlés, ont fusionné dans un chaudron magique pour donner naissance à un son particulier que j’appelle le Rock chevelu. Le moment exact où les ingrédients pris au Blues, à la Soul, au Rock, à la Country, aux rythmes latinos, se sont amalgamés à la perfection et ont formé une recette unique se situe en août 1969. Le festival de Woodstock a permis alors à 32 groupes de se produire devant un demi-million de spectateurs. Le Rock chevelu s’est révélé au monde à cette occasion. Puis, en quelques années, de nouveaux courants musicaux sont apparus, Heavy Metal, Glam, Progressive Rock. Les bluesmen sont revenus à leur public, les artistes de Folk au leur.

Ce prisme, ce cristal parfait dont la pointe est représentée par Woodstock, et à l’intérieur duquel ont convergé plusieurs rayons lumineux décomposés ensuite en un arc-en-ciel musical, a brillé quelques temps d’un éclat sans pareil, un éclat resté inégalé. Il a laissé pour la postérité, parmi d’autres chefs-d’œuvre, dix titres inoubliables, interprétés par des légendes du Rock, selon moi les dix sommets du Rock chevelu.

 

1/ « I’m going home » de Ten Years After

La liste n’est pas établie en fonction d’un quelconque classement. Si je commence par ce morceau et par ce groupe, c’est qu’ils sont une illustration parfaite du phénomène exposé en introduction. Ten Years after s’est formé en 1966 (début de la décennie dorée), a sorti son premier album en 1967, et s’est séparé en 1975 (fin de la décennie dorée). Très représentatif du Blues électrique anglais, il ne connait pas le succès d’autres groupes de la même mouvance. Jusqu’à un soir d’août 1969, où, invité au festival de Woodstock, il interprète sur scène « I’m going home ». La performance hallucinante du chanteur Alvin Lee, saisi par une transe interminable, rend le groupe mondialement célèbre ; et place son blues survitaminé, « I’m going home », parmi les dix sommets du Rock chevelu.

https://www.youtube.com/watch?v=bW5M5xljdCI

 

2/ « All Along the Watchtower » de Jimi Hendrix

Contrairement aux Anglais de Ten Years After, l’Américain Jimi Hendrix, invité lui aussi à Woodstock, n’a pas besoin de cet invraisemblable festival pour se faire reconnaitre. Il est déjà considéré comme un prodige de la guitare électrique. Et il est l’emblème de la fusion des courants musicaux dans le creuset de la fin des sixties ; des résistances à cette fusion également. Les autres Afro-Américains lui reprochent souvent de jouer une musique de Blancs, comme si le métissage musical était aussi odieux à la société de l’époque que le mélange des races. Hendrix n’en a cure, il injecte son héritage Blues dans le Rock pour fabriquer un son inimitable. Jimi Hendrix est à la guitare électrique ce que fut Paganini au violon à une époque : un musicien tellement doué que les autres artistes sont dans une impossibilité quasi physique d’imiter ou même d’approcher ce qu’il réalise. Eric Clapton, pourtant surnommé « God », fut sérieusement ébranlé la première fois qu’il l’entendit jouer au cours d’un bœuf à Londres. Inégalable, toujours considéré comme le plus grand virtuose de la guitare électrique de tous les temps, Hendrix atteint son apogée en interprétant en 1968 une chanson écrite par Bob Dylan en 1965, « All Along The Watchtower », preuve que le Rock chevelu est un métissage unique obtenu au cours d’une décennie bénie, un morceau écrit par le pape du Folk, revisité par un Noir Américain venu du Blues et converti au Rock.

http://www.dailymotion.com/video/x7eonk_jimi-hendrix-all-along-the-watchtow_music

 

3/ « Crossroads » de Cream

 

Eric Clapton a beau avoir eu un coup de déprime face à la virtuosité de Jimi Hendrix, lorsqu’il forme le groupe Cream, il est un vrai « guitar hero ». Cream est d’ailleurs qualifié de « super groupe », étant donné que tous ses membres sont déjà des stars au moment de sa composition en 1966 (Jack Bruce à la basse et Ginger Baker à la batterie). Et si Hendrix est un Noir influencé par la musique des Blancs, Clapton est un Anglais blanc qui ne rêve que de jouer le Blues des Afro-américains. Une nouvelle fois, nous voilà devant ce melting-pot de la décennie dorée dans lequel tous les sons se mélangent ; devant ce carrefour. D’où le choix de « Crossroads », à la fois référence à la légende du Blues, à ce croisement où Robert Johnson est censé avoir pactisé avec le Diable pour devenir le plus grand des bluesmen, et hommage à l’intersection où se rencontrent les courants musicaux, où ils se télescopent pour engendrer la quintessence du Rock chevelu.

http://www.dailymotion.com/video/x2x0aq_cream-crossroads_music

 

 4/ « One Way Out » de The Allman Brothers Band

Si les Anglais de Cream se sont contentés de rêver des moiteurs de « Dixieland », Duane et Gregg Allman ont grandi en leur sein, à Macon en Géorgie. Avec Dickey Betts, Berry Oakley, Butch Trucks et Jay Johanny Jaimoe Johanson, ils forment un groupe en 1969, et deviennent une référence de ce qui sera baptisé le Rock sudiste. Autant dire qu’ils sont représentatifs du métissage musical, tant ce courant est un mix d’influences, Blues noir et Country blanche, interprété d’une manière magistrale à la guitare par le virtuose Duane Allman, souvent considéré comme le numéro deux à cet instrument, juste derrière Jimi Hendrix. Outre une maîtrise surnaturelle de son instrument, Duane Allman a pour point commun avec Hendrix le fait d’être mort très jeune, d’un accident de moto, en 1971. Ecouter « One Way Out » permet d’être envoûté par son jeu incroyable et par la voix rauque et traînante de son frère Gregg, parfaitement adaptée aux particularités du Rock sudiste.

https://www.youtube.com/watch?v=vCgrxtTxTPg

 

5/ « Freebird » de Lynyrd Skynyrd

Pur produit du Rock sudiste à l’instar de The Allman Brothers Band, Lynyrd Skynyrd est connu non seulement pour la qualité de sa musique, mais également pour les polémiques qu’il a suscitées. Sa célébrissime chanson « Sweet Home Alabama » est une réponse cinglante aux attaques de Neil Young contre les « rednecks » du Sud dans ses morceaux « Southern Man » et « Alabama ». En réalité, le compositeur et chanteur Ronnie Van Zant n’apprécie guère qu’on fasse des généralités à propos des Blancs du Sud, et qu’être un citoyen à peau claire de l’Alabama suffise pour être estampillé plouc raciste. Cependant, son goût pour la provocation et la « fierté sudiste » de Lynyrd Skynyrd, avec notamment la présence du drapeau confédéré sur scène à tous ses concerts, donnent au groupe une image un peu trouble. Lynyrd Skynyrd vaut sûrement mieux que les polémiques qui lui sont attachées. Son chef-d’œuvre, « Freebird », sorti en 1973, est à la fois un hommage poignant à Duane Allman (grand ami de Ronnie Van Zant) après sa disparition, et l’écrin d’un des plus époustouflants solos de guitare de l’histoire du Rock.

http://www.dailymotion.com/video/x3943h_lynyrd-skynyrd-freebird_music

 

6/ « La Grange » de ZZ Top

ZZ Top a parfois été assimilé au Rock sudiste dont Lynyrd Skynyrd et The Allman Brothers Band sont des figures de proue. Mais les « Tres Amigos » jouent une musique différente, influencée par les sons latino-américains présents au Texas, et leur leader Billy Gibbons s’est montré clair sur ce point : le Rock texan n’est pas du Rock sudiste. Le point commun, c’est le métissage musical, avec une très forte composante Blues. Comme son ami Jimi Hendrix, qui lui offre en 1969 une Fender Stratocaster à la formation du groupe, Billy Gibbons part du Blues et développe son propre son ; son propre look également. Comme son compère bassiste Dusty Hill, il arbore une barbe immense, des lunettes noires et des couvre-chefs variés. La pilosité faciale des deux chanteurs devient leur élément identificateur. Le style « biker » se retrouve également dans leurs textes, souvent dédiés à l’alcool, à la bagarre et aux femmes, y compris celles que l’on trouve dans les maisons closes. Leur immense succès « La Grange » évoque d’ailleurs un bordel texan. Sorti en 1973, ce sommet du Rock chevelu permet d’apprécier la voix grave et envoûtante de Billy Gibbons.

https://www.youtube.com/watch?v=SE1xO44FlME

 

7/ « Roadhouse Blues » de The Doors

Déplaçons-nous vers l’Ouest et nous voici en Californie où naissent The Doors. Le nom du groupe est significatif. Il fait référence au livre d’Aldous Huxley, « The Doors of Perception », ou l’auteur fait part de son expérience des drogues. Ajoutez à cela que l’organiste Ray Manzarek rencontre le batteur John Densmore lors d’une conférence du gourou Maharishi, et qu’ils recrutent un autre accroc à la méditation transcendantale, le guitariste (et génial compositeur) Robby Krieger, et vous comprendrez que The Doors développe un style psychédélique sur les textes quasi métaphysiques de Jim Morrison. Drogué et alcoolique, ce dernier est surtout un poète très cultivé. Fin connaisseur de l’ouvrage « La psychologie des foules », Morrison est capable de plonger le public de ses concerts dans de véritables transes hystériques. Oliver Stone a d’ailleurs parfaitement rendu à l’écran cette capacité proprement chamanique de Morrison dans son film « The Doors » en 1991. Le choix de « Roadhouse Blues », au milieu d’une quantité de hits planétaires, s’explique par le fait qu’il s’intègre parfaitement dans la mouvance du Rock chevelu, avec de fortes racines plongeant dans l’origine du Rock et du Blues, tout en possédant la touche psychédélique particulière de The Doors.

 https://www.youtube.com/watch?v=kE32pvvaDT8

 

8/ « Locomotive Breath » de Jethro Tull

Si The Doors se singularise dans cette sélection par son appartenance au Rock psychédélique, Jethro Tull en fait autant puisqu’il est une figure de proue du Rock alternatif. Influence de la musique classique et celtique, travail sur des « albums-concept », leader du groupe (Ian Anderson) qui joue de la flûte, nous sommes loin du « Bar Rockin’Blues ». Pourtant, à ses débuts, Ian Anderson est influencé par le Blues, même s’il s’en éloigne ensuite. Et en 1971, leur quatrième et plus célèbre album, « Aqualung », contient un morceau, « Locomotive Breath », digne de figurer au panthéon du Rock chevelu, avec son jeu de piano très « Chicago style », ses solos de guitare bluesy, et son rythme Rock évoquant une locomotive folle.

https://www.youtube.com/watch?v=P2UgejkBdu0

 

9/ « Child in Time » de Deep Purple

The Doors et Jethro Tull sont emblématiques de deux des chemins séparés que prendra le Rock à la fin de la décennie dorée, psychédélique et alternatif. Deep Purple trace une troisième voie, celle du Hard Rock, dont il est considéré comme un des fondateurs. Formé en 1968, dissous en 1976, le groupe britannique n’est vraiment lui-même qu’entre 1969, à l’arrivée du bassiste Roger Glover et du chanteur Ian Gillan, et 1973, à leur départ. Malgré le talent du guitariste Ritchie Blackmore, de l’organiste Jon Lord et du batteur Ian Paice, il est difficile de dissocier Deep Purple de la voix incroyable de Ian Gillan. La période faste du groupe correspond à la sortie de leurs trois albums majeurs, « In Rock » en 1970, « Machine Head » et « Made in Japan » en 1972, années pendant lesquelles Gillan est le chanteur du groupe. « Smoke on the Water » et « Lazy » auraient mérité d’être choisis comme titres emblématiques de Deep Purple, mais c’est la longue suite « Child in Time », premier énorme hit du quintet, devenu un hymne du Hard Rock aux côtés de « Stairway to Heaven » de Led Zeppelin, qui permet le mieux d’apprécier la virtuosité de Ian Gillan et de constater que le Rock chevelu n’est pas qu’une affaire de guitariste, mais également une affaire de chanteur.

 https://www.youtube.com/watch?v=OorZcOzNcgE

 

10/ « Toussaint L’Overture » de Santana

Carlos Santana est le seul musicien de cette sélection à n’être ni britannique, ni citoyen des Etats-Unis d’Amérique. Il n’en est pas moins devenu une star planétaire, et il est considéré comme un des plus grands guitaristes de tous les temps. Si on se fie au classement des 100 meilleurs établi par le magazine « Rolling Stone », il arrive en quinzième position. Seuls le devancent, parmi les « guitar heroes » du Rock chevelu, Jimi Hendrix, Duane Allman et Eric Clapton. Mexicain, fils de mariachi, Carlos Santana apprend très tôt la musique, en commençant par le violon. Puis il se met à la guitare, et après avoir franchi la frontière, à l’anglais et au Blues. Peut-être du fait de ses origines latino-américaines, Santana parvient à créer une œuvre musicale ultra métissée. Les recettes des neuf autres groupes comportent moins d’ingrédients : de lourdes saveurs de Blues et de Rock pour Ten Years After, Jimi Hendrix, Cream et ZZ Top, de bonnes rasades de Folk et de Country pour The Allman Brothers Band et Lynyrd Skynyrd, des épices encore inédites pour The Doors, Jethro Tull et Deep Purple. Carlos Santana, lui, évoque un cuisinier fou qui jette de tout dans sa marmite, Salsa, musique traditionnelle mexicaine, jazz manouche, mais parvient à contrôler le résultat avec une invraisemblable maestria. Précurseur de la World Music, il additionne les styles et les instruments, se produit avec une armée de percussionnistes, et emporte les spectateurs dans un formidable tourbillon euphorisant ; pour avoir eu la chance de le voir sur scène, je peux témoigner du fait que Carlos Santana a compris une chose essentielle : la musique est d’abord faite pour communiquer de la joie. « Toussaint L’Overture », écrit en 1970 à la gloire de l’esclave haïtien révolté, est un exemple parfait de son génie musical.

https://www.youtube.com/watch?v=iQ8ST0Nks34

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16 mars 2017 4 16 /03 /mars /2017 20:38

Jamais je n’aurais cru qu’une campagne présidentielle m’amènerait à tant relire Molière. Mais un des membres du casting nous gâte, et à lui seul il est en train d’enfiler successivement les costumes de tous les grands rôles.

Ceux qui ont des enfants d’âge adulte me comprendront. Si quelqu’un raconte qu’il a réussi à se faire rétrocéder par ses gamins enfin en état de bosser les trois quarts de leur paye aux fins de rembourser ici les frais d’un mariage, là des loyers et de l’argent de poche, il n’existe que deux possibilités :

- Ou bien il se moque du monde, et pourquoi s’en priverait-il d’ailleurs, lorsque près d’un cinquième de l’électorat se dit toujours convaincu de voter pour lui ? (Comme il le dit si bien lui-même : « Et alors ? »)

- Ou bien c’est un vrai pingre, un rapiat de compétition avec des doigts en crocs de boucher, du genre à noter dans un petit carnet : le 20/08/2007, ai donné un billet de 50 pour une sortie du fils avec des potes ; remboursable sur le premier futur salaire, avec intérêts courants de 1,25% l’an. Des pinces de ce calibre-là, il n’y en a pas tant dans l’Histoire. Un dans la littérature, en tous cas, le célèbre Avare de Molière. Après Tartuffion, voici Harpaillon l’avaricieux. Après les alexandrins, la prose. Qui, en la remaniant un peu, pourrait donner ceci :

 

Acte I, scène 4

Harpaillon_ Je vous l’ai dit vingt fois, mon fils, toutes vos manières me déplaisent fort : vous donnez furieusement dans le marquis, et pour aller ainsi vêtu, il faut bien que vous me dérobiez.

Charlante_ Hé ! Comment vous dérober ?

Harpaillon_ Que sais-je ? Où pouvez-vous donc prendre de quoi entretenir l’état que vous portez ?

Charlante_ Moi, mon père ? C’est que je joue, et comme je suis fort heureux, je mets sur moi tout l’argent que je gagne.

Harpaillon_ C’est fort mal fait. Si vous êtes heureux au jeu, vous devriez en profiter et mettre à honnête intérêt l’argent que vous gagnez, afin de me rembourser un jour des dépenses que m’a occasionné votre éducation. Il est bien nécessaire d’employer de l’argent à des costumes, lorsque l’on peut en porter offerts par des amis, et qui ne coûtent rien !

Charlante_ Vous avez raison.

 

Acte I, scène 5

Harpaillon_ C’est une occasion qu’il faut vite prendre aux cheveux. Je trouve ici un avantage qu’ailleurs je ne trouverais pas. Ils s’engagent à se marier avec remboursement.

Valère_ Avec remboursement ?

Harpaillon_ Oui.

Valère_ Ah je ne dis plus rien. Voyez-vous, voilà une raison tout à fait convaincante, il faut se rendre à cela.

Harpaillon_ C’est pour moi une épargne tout à fait considérable.

Valère_ Assurément, cela ne reçoit point de contradiction. Il est vrai que votre fille vous peut représenter que le mariage est une plus grande affaire qu’on ne peut croire.

Harpaillon_ Avec remboursement !

Valère_ Vous avez raison. Voilà qui décide de tout, cela s’entend. Il y a des gens qui pourraient vous dire qu’en de telles occasions le bonheur d’une fille est une chose, sans doute, où l’on doit avoir de l’égard.

Harpaillon_ Avec remboursement !

Valère_ Ah, il n’y a pas de réplique à ça, on le sait bien ! Qui diantre peut aller contre ? Ce n’est pas qu’il n’y ait quantité de pères qui n’aimeraient pas mieux ménager la satisfaction de leurs filles que l’argent qu’ils pourraient donner.

Harpaillon_ Avec remboursement !

Valère_ Il est vrai. Cela ferme la bouche à tout : avec remboursement ! Le moyen de résister à une raison comme celle-là ?

 

Acte IV, scène 5

Charlante_ Je vous demande pardon, mon père, de l’emportement que j’ai fait paraître.

Harpaillon_ Cela n’est rien.

Charlante_ Je vous assure que j’en ai tous les regrets du monde.

Harpaillon_ Et moi, j’ai toutes les joies du monde de te voir raisonnable.

Charlante_ Quelle bonté à vous d’oublier si vite ma faute !

Harpaillon_ On oublie aisément les fautes des enfants lorsqu’ils rentrent dans leur devoir.

Charlante_ Ah, mon père, je ne vous demande plus rien, et c’est m’avoir donné assez que de m’avoir donné mes loyers et mon argent de poche !

Harpaillon_ Comment ?

Charlante_ Je dis, mon père, que je suis trop content de vous, et que je trouve toutes choses dans la bonté que vous avez de m’accorder ce pécule.

Harpaillon_ Qui est-ce qui te parle de te l’accorder ?

Charlante_ Vous, mon père.

Harpaillon_ Moi ?

Charlante_ Sans doute.

Harpaillon_ Comment ? C’est toi qui as promis de rembourser !

Charlante_ Moi, rembourser ?

Harpaillon_ Oui.

Charlante_ Point du tout !

Harpaillon_ Quoi ! Pendard, rembourse derechef, sur tes émoluments d’attaché parlementaire ! La raison voudrait que le tout me revienne, mais je t’en laisse un quart, par pure bonté d’âme !

 

Quel personnage du grand Molière notre candidat à la présidentielle va-t-il bientôt incarner ? Quelle autre pièce verrons-nous rejouer ? Peu de chances qu’il s’agisse des « Précieuses ridicules » ou des « Femmes savantes », mais il nous reste encore quelques semaines pour espérer assister au « Bourgeois de la Sarthe Gentilhomme », au « Malade du pouvoir imaginaire » ou aux « Fourberies de Scapillon ».

Croisons les doigts.

 

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22 février 2017 3 22 /02 /février /2017 19:25

Les racines du mot « hypocrite » sont grecques (hypocritês, l’acteur) et latines (hypocrita, le mime). L’hypocrite est donc un comédien. Il déguise ses sentiments, feint d’éprouver autre chose que ce qu’il ressent.

Tartuffe est un mot qui vient de l’italien Tartufo (la truffe), surnom d’un personnage de la Comedia d’el Arte, qui devint au début du XVIIème siècle une insulte. Il est difficile d’ailleurs de préciser le sens exact de cette injure, les indices provenant de cette époque lointaine étant insuffisants. C’est la pièce de Molière qui donne, en 1664, une vraie définition au Tartuffe : hypocrite à la dévotion affectée. Le mot a dû d’autant plus aisément trouver sa place dans la langue française qu’il se rapproche phonétiquement des anciens trufeur (trompeur), truferie (tromperie) et trufer (tromper), qui remontent au Moyen-Age.

Ce serait une erreur de considérer que la tartufferie est une simple hypocrisie. Il y a dans la politesse une certaine dose d’hypocrisie, et la politesse est appréciée tandis que la tartufferie semble odieuse. Tout est question de degré. Qui ne s’est pas émerveillé devant la beauté d’un enfançon tout en songeant « qu’il est moche, le niard », qui ne s’est pas confondu en remerciements devant un cadeau tout en pestant intérieurement « ils ne sont vraiment pas foulés ». Un peu d’hypocrisie est un excellent lubrifiant pour les rouages de la vie en société ; trop d’hypocrisie les fait patiner.

La politesse est une hypocrisie bienveillante. Elle est le contraire du cynisme. La tartufferie est une hypocrisie malveillante. Elle ne vise pas à préserver autrui, elle vise à le berner, le duper, et ceci dans les grandes largeurs. L’homme poli joue un rôle pour ménager son interlocuteur, pour éviter de le blesser ou de le choquer. L’hypocrite est un acteur polymorphe ; il trompe, mais pas forcément pour nuire. Il se soucie surtout de lui-même, s’efforce de paraître à son avantage avec peu de considération pour la bonne foi des autres qu’il enfume sans scrupules, mais sans automatiquement vouloir leur faire du tort. Le Tartuffe, c’est le degré supérieur. Le personnage qu’il se construit ne varie pas au gré des vents. Il est bétonné. Il est farci de principes rigides, affirmés haut et fort, urbi et orbi. Le Tartuffe est un personnage du théâtre antique, affublé d’un masque exprimant une unique émotion ; un personnage droit dans ses bottes. Et ce qui caractérise définitivement le Tartuffe, c’est que la réalité de son caractère est diamétralement opposée à la façade qu’il expose.

Le Tartuffe de Molière, bigot austère et moralisateur, infatigable contempteur des comportements lascifs, est en réalité un homme lubrique que l’adultère ne dérangerait pas. Molière était décidément un observateur exceptionnel de la nature humaine. Sa pièce n’a pas vieilli, on voit régulièrement surgir un Tartuffe : télévangéliste larmoyant qui se trouve contraint d’avouer qu’il a trompé sa femme après des années passées à pourfendre à l’écran le relâchement des mœurs ; gourou chantre de l’ascétisme et de l’abstinence qui passe son temps à essayer d’abuser sexuellement ses disciples ; taliban impitoyable prompt à lapider les femmes soupçonnées d’adultère, et violeur en série couvrant ses méfaits par des successions de mariages éclairs suivis de divorces éclairs (sans le consentement de la victime, bien sûr)

L’origine du mot étant fortement attachée à la pièce de Molière, la duplicité d’un Tartuffe est en général associée au sexe. Un Tartuffe, ce serait DSK déguisé en curé traditionnaliste. C’est pourquoi, afin d’étendre le champ de la tartufferie, je propose la création d’un nouveau mot : Tartuffion.

Le Tartuffion est à l’argent ce que le Tartuffe est au sexe. Imaginez un homme d’apparence sévère, avec la componction et la tristesse d’un croque-mort, qui annonce doctement : le pays est ruiné ; ruiné par ceux qui ont puisé sans vergogne dans les deniers publics (fonctionnaires et autres gaspilleurs). Le temps est venu d’être strict, dur ; le temps est venu de compter chaque sou, car les caisses de l’Etat ne sont pas une corne d’abondance ; d’ailleurs elles sont vides. Désormais il faudra travailler plus, et plus longtemps, pour gagner moins. Il ne faudra plus compter sur la manne de la Sécurité Sociale et autres systèmes de solidarité, mais chacun devra payer pour s’assurer dans le privé, au moyen de ses propres deniers. Pour un peu, il paraphraserait Proudhon en s’exclamant : « La solidarité, c’est le vol ! »

Bien entendu, à l’instar du personnage de Molière, le Tartuffion prend grand soin d’afficher ses austères convictions. Celui-là manifeste bruyamment sa révulsion face aux appâts de la chair (« Couvrez ce sein que je ne saurais voir ! »), celui-ci fait de même devant les dépenses inconsidérées (« J’ai considérablement réduit le train de vie de mon ministère ! »).

Finalement, le Tartuffe est démasqué, son côté libidineux dévoilé à tous. Pour le Tartuffion, c’est son vrai rapport à l’argent qui est révélé. Ses soi-disant économies ne sont que des pirouettes comptables permettant d’imputer à d’autres ministères les dépenses somptuaires du sien. La rigueur qu’il veut imposer aux autres, comme le Tartuffe voulait décréter la chasteté générale, n’est pas le régime qu’il s’applique. L’argent public, dont il prétend être le vétilleux comptable lorsqu’il s’agit de le verser aux fonctionnaires, trop nombreux, trop fainéants, ou aux assistés, insupportables sangsues, il en dispose avec une époustouflante générosité lorsqu’il s’agit de le donner à sa femme et à ses enfants en échange de travaux pour la communauté dont on peine à distinguer l’ampleur ou la simple réalité. En pastichant un peu Molière, il serait possible de lui faire dire :

« Ceux qui me connaîtront n’auront pas la pensée

Que ce soit un effet d’une âme intéressée.

Tout l’argent de la France a pour moi peu d’appas,

De son éclat trompeur je ne m’éblouis pas ;

Et, si je me résous à prendre dans les caisses

Pour que les miens profitent de ma grande largesse,

Ce n’est, à dire vrai, que parce que je crains

Que tout ce bien ne tombe en de méchantes mains ;

Celles des fonctionnaires ou bien des assistés

Qui depuis des années nous ont si bien saignés. »

La langue française est merveilleuse par sa capacité à toujours évoluer, à emprunter, détourner, puiser dans l’actualité. Je milite pour que soit accepté ce nouveau mot, Tartuffion. J’espère qu’il aura autant de succès que Tartuffe. Pourquoi ne pas rêver un peu, et imaginer que les répliques de Tartuffion deviennent à leur tour célèbres ?

« Ah, pour être économe, je n’en suis pas moins homme ;

Et lorsqu’on vient à voir tout l’argent du sénat,

Un cœur se laisse prendre et ne raisonne pas. »

Ou encore :

« Je puis vous dissiper ces craintes ridicules,

Madame, et je sais l’art de lever les scrupules.

La loi défend, de vrai, certains détournements ;

Mais on trouve avec elle des accommodements. »

Je ne doute pas qu’en observant le manège du monde, comme nous pouvions nous exclamer : « voici un Tartuffe », nous ayons souvent l’occasion de dire : « c’est un sacré Tartuffion ».

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22 novembre 2016 2 22 /11 /novembre /2016 12:27

La question est un tantinet provocatrice, mais depuis que François Fillon, chevalier ultra-catho-ultra-libéral à la triste figure, semble porté par un tsunami d’électeurs de droite décidés à changer de paradigme, cette question se pose.

Qui de Marine Le Pen et de François Fillon est le plus à (l’extrême) droite ? Sur les questions « mœurs et société », Marine est incontestablement plus « gay-friendly » que le cul-bénit sarthois, qui vota en 1982 pour que l’homosexualité demeure un délit. Si au FN il y a incontestablement une tripotée de barons qui, eux, verraient bien l’homosexualité qualifiée comme un crime, Marine Le Pen est entourée d’une garde rapprochée (vilipendée par les fidèles du patriarche fondateur Jean-Marie) d’homosexuels qui ne sont probablement pas sur la même longueur d’onde que le très catholique (comme dans l’expression : « la très catholique Inquisition ») François Fillon. Marine Le Pen elle-même ne peut certainement pas être qualifiée d’homophobe. François Fillon, eu égard à ses choix du passé, si.

Dire que « le droit à l’avortement n’est pas un droit fondamental des femmes », je n’ai pas souvenir que Mme Le Pen ait osé. François Fillon, soutien fidèle de la mouvance rétrograde issue de  « la manif pour tous », si.

Passons à l’économie. Le programme du FN est social-national (je ne veux pas être méchant en parlant de national-socialisme). Celui de François Fillon a la subtilité d’une tronçonneuse fabriquée en Grande-Bretagne dans les années 80. Plus de recrutements de fonctionnaires, plus du tout, pendant 5 ans (il faut ça pour en avoir 500 000 de moins). Si on garde à l’esprit que les policiers, les juges, les militaires, les gardiens de prison, et les personnes chargées de toutes sortes de tâches répressives destinées à protéger les citoyens (douaniers, agents des fraudes, vétérinaires inspecteurs) sont des fonctionnaires, on se demande comment l’auteur d’un tel programme peut prétendre apporter plus de sécurité à son pays. Les fonctionnaires vieillissants restés en place bosseront 39 h payées 37, en attendant sans doute d’être fusillés en place publique lorsque l’opinion des Français travaillée par des années de « fonctionnaires bashing » sera mûre. (Petite précision : je ne suis pas fonctionnaire)

Les salariés du privé, eux, passeront à, éventuellement (en fonction des accords trouvés avec les employeurs) à 48 h par semaine (limite légale européenne) ; jusqu’à 65 ans (pour le moment). Inutile de commenter. Pour qu’il reste des jobs à une jeunesse qui souffre déjà d’un chômage à 25%, il faudra une intervention divine. François Fillon croit en Dieu, moi pas.

Pour faire bonne mesure, la TVA montera de deux points, l’ISF disparaitra, les impôts directs baisseront, les allocations familiales ne seront plus plafonnées en fonction des revenus. Ce sera une meilleure répartition des richesses (pour les riches s’entend).

Le délire fillonesque est tellement outrancier que même les économistes patentés des chaînes d’info (pourtant pas des parangons de gauchisme) commencent à rouler des yeux d’un air interloqué.

Il parait que le vainqueur des primaires de la droite affrontera Marine Le Pen au second tour de la présidentielle, c’est du moins ce qu’annoncent tous les analystes politiques (mais ils se sont tellement planté ces derniers temps que l’espoir d’éviter ce scénario n’est pas mort). François Fillon semble être quasi certain de représenter sa famille politique, celle de la droite (au sens de droite en Espagne dans les années 30) et du centre (non, là je déconne). Donc Fillon-Le Pen.

En ce qui me concerne, j’irai mettre un bulletin blanc dans l’urne s’il fait beau, je resterai chez moi s’il pleut (une première en 37 ans). Quant à ceux qui décideront de choisir, ils pourraient bien réserver des surprises (encore) aux analystes et commentateurs professionnels. Parce qu’à force de dire que pour « redresser » la France, il faut commencer par foutre la tête dans le seau à 90% des gens qui la composent, on s’expose à des surprises.

Une chose est sûre, la France dans laquelle j’ai grandi, celle qui héritait ses valeurs du Conseil National de la Résistance, celle de la laïcité et de la méritocratie républicaine, cette France-là est morte. Sa tombe est déjà creusée, et il fallait bien un sinistre croisement de Margaret Thatcher et de Lech Kaczynski, avec la raideur compassée et la triste figure d’un employé de pompes funèbres, pour la mettre en terre.

 

 

 

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9 novembre 2016 3 09 /11 /novembre /2016 10:22

Voilà, c’est fait. Donald Trump sera le 45ème président des Etats-Unis d’Amérique. Enorme surprise pour certains, ce résultat ne m’étonne pas tellement. J’avais discuté récemment du sujet avec une amie qui séjourne régulièrement aux Etats-Unis et prenait la température auprès des locaux. Le rejet d’Hillary Clinton est tellement fort, y compris parmi des Démocrates convaincus, que l’élection de son adversaire pouvait sérieusement s’envisager. Imaginez en France un deuxième tour de présidentielle entre Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen. Malgré tout ce qu’il peut y avoir d’effrayant avec la présidente du Front National, elle aurait ses chances tant le nombre d’électeurs de gauche réticents à voter Sarkozy serait grand, même pour barrer la route à l’extrême droite. Hillary Clinton, c’est un peu le Sarkozy américain ; trop d’électeurs sont restés à la maison. Et puis il y a l’envie de faire « péter le système », même si personne ne comprend en quoi consiste exactement le fameux système.

Maintenant on attend le cataclysme. Sauf que Trump ne fera probablement pas le dixième de ce qu’il a promis. Son premier discours le démontre, dans lequel il s’est davantage employé à féliciter son adversaire qu’à redire qu’il fallait l’envoyer en prison. Et puis ce qui concerne les Américains est leur problème. Qu’ils détruisent le peu de protection sociale mis en place par Obama, qu’ils portent des armes dans tous les lieux publics, qu’ils essaient de « rééduquer » les homosexuels (ça, c’est le dada du colistier de Trump, Mike Pence, un cul-bénit obscurantiste bien plus inquiétant que son matamore de patron) et d’interdire l’avortement, cela n’impactera que la société américaine.

Reste ce qui nous concerne, nous-autres, Européens. Trump prétend se torcher avec les accords de Paris sur le climat. Il envisage de retirer la protection armée des troupes américaines à tous les pays qui ne font pas un effort de défense suffisant. Il trouve Vladimir Poutine éminemment sympathique et n’entend pas l’embêter pour des broutilles (entendez l’annexion de morceaux de pays voisins, par exemple). Peut-être avions-nous besoin de ce genre d’électrochoc. L’Europe s’est toujours comportée comme le « geek » malingre qui essaie de traîner avec le gros baraqué, approuve ses pires conneries (deuxième guerre d’Irak, contre laquelle la France s’est trouvée seule à protester, et a dû payer le prix de son audace), encaisse ses humiliations (procès à répétition contre des entreprises européennes, condamnées par les tribunaux américains à négocier des amendes faramineuses sous peine de se voir fermer le marché outre-Atlantique, système de racket tellement passé dans les mœurs que l’unique contre-attaque visant Google a paru ahurissante aux médias des Etats-Unis), tout ça dans l’espoir que le caïd sera son pote et le protègera si besoin est.

L’Amérique semble sur le point de céder à la tentation isolationniste qu’elle a déjà connue par le passé. Certains pays européens, comme la Pologne, dont le nouveau gouvernement n’en finit pas de cracher au visage de ses voisins (dernier coup d’éclat, l’annulation d’un marché de défense auprès d’Airbus, les dirigeants polonais préférant acheter américain en reniant la parole donnée par leurs prédécesseurs), la Belgique ou l’Autriche, confortablement assoupies à l’abri d’armées financées par d’autres, au budget de Défense si ridicule qu’il servira bientôt à entretenir seulement une poignée de gardes-frontières (mais il n’y a plus de frontières, n’est-ce pas ?), vont peut-être connaître un réveil brutal. Ceux-là comprendront-ils que faire cause commune avec des voisins qui partagent les mêmes problèmes est sans doute plus sûr que de s’en remettre à un lointain parrain au caractère versatile ? Ceux-ci découvriront-ils qu’il faut s’aider soi-même avant d’escompter que le ciel (américain)  vienne (peut-être) à votre secours ?

Espérons que cet électrochoc rappellera à l’Europe qu’elle est un continent riche, qui pourrait être puissant s’il était solidaire. Espérons qu’il nous éclairera sur la nécessité de faire progresser l’intégration européenne, parce qu’il est probable que dans les temps à venir nous ne puissions compter sur personne si certaines menaces se profilaient à l’horizon (par exemple vers la frontière Est de l’Europe). Le jour où le « geek » malingre se rend compte que le grand balaize dont il croyait être le copain n’en a rien à faire de lui, il ne lui reste plus qu’une solution : grandir.    

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